«Je vais mourir, avait-il révélé l'année dernière, j'ai le sida et je suis en phase terminale. Ce n'est donc pas moi qui organiserai la dixième édition de ce festival. Croyez bien que je le regrette.»
Caracas, de notre correspondant.
Le 10e Festival de théâtre de Caracas ne portera pas la griffe de Carlos Gimenez. Le Monsieur Théâtre du Venezuela bien qu'il fût argentin, ce que ses détracteurs au nationalisme agressif ne manquaient jamais de lui rappeler l'avait d'ailleurs prévu. «Je vais mourir, avait-il révélé l'année dernière, j'ai le sida et je suis en phase terminale. Ce n'est donc pas moi qui organiserai la dixième édition de ce festival. Croyez bien que je le regrette.» Ce fut tout. Mais en même temps un courageux et grimaçant pied de nez à la société vénézuélienne qui se shoote encore au machisme le plus hard et oblige, par exemple, ceux que sont emportés par le sida, à tricoter, même pour leurs proches, d'absurdes fables avec la complicité de médecins. Il aurait bien rigolé en tout cas, Carlos Gimenez, en feuilletant le programme de «son» 10e Festival, une vraie brochure «pro» au demeurant cette année, liftée par un Juan Luis Delmont inspiré, plus connu toutefois jusque-là pour animer avec bonheur... l'école du chant freudien de Caracas.
Gimenez aurait en particulier goûté comme un mets sucré que l'on ait choisi la pièce de son vieux copain vénézuélien José Simon Escalona Marilyn, la Ultima Pasion pour «vedette américaine» de ce festival.
Interdite pendant plus de dix ans, l'oeuvre aborde par le menu, sous forme de variations oniriques, le thème du suicide. Celui d'un metteur en scène qui déroule pour le spectateur, comme dans un film accéléré, le fil de ses souvenirs, de ses amours homosexuelles évoquées de la façon la plus crue, comme ces scènes de sodomie mimées avec un réalisme confondant.
Peut-être Carlos Gimenez aurait-il décelé là comme une revanche posthume? De ses années de galère, quand, tout auréolé pourtant d'un double prix (mise en scène et comédie) décroché en 1968 au Festival international de théâtre de Varsovie, il débarqua au Venezuela pour fonder la compagnie Rajatabla, aujourd'hui la vitrine du théâtre vénézuélien, monter le tout premier la pièce de Gabriel Garcia Marquez El Coronel no tiene cartas, ou inventer dans la foulée le Festival international de Caracas, cornaqué aujourd'hui plus institutionnellement par Carmen Ramia Otero, une grande bourgeoise caraquénienne.
«Nous n'oublierons jamais l'oeuvre de Carlos Gimenez», assure la nouvelle présidente du comité d'organisation, dont les démêlés avec son prédécesseur ont pourtant longtemps alimenté les dîners en ville. Psychanalyste de renom, Carmen Ramia Otero entretenait des rapports conflictuels avec son cadet et, dans la plus pure tradition lacanienne, elle avait de tout temps tenté de tuer ce fils encombrant à défaut du père originel, bien avant que la mort la vraie n'emportât Carlos Gimenez. «Le vent de folie qui soufflait autour du travail de Carlos nous fouette toujours autant, tempère Juan Luis Delmont, il ne faut pas bouder notre plaisir.» C'est vrai, et l'ouverture le samedi 8 avril du Festival au théâtre Teresa Careno avec No me olvides, interprétée par la compagnie française de Philippe Gentil, a laissé les spectateurs tout étourdis de bruit et de lumière. «C'est une véritable histoire d'amour, ajoute Delmont, que vivent les Vénézuéliens et Philippe Gentil depuis le spectacle que ce dernier avait donné ici à l'occasion du bicentenaire de la Révolution française.» Jusqu'au 25 avril, vingt-cinq compagnies se succéderont sur les planches du «Careno» puis dans les théâtres des principales villes de province.
Les étrangers sont venus en force. Les Suédois du Backa Teater, avec leur version très personnelle de la Nuit des rois de Shakespeare, ou les Allemands du Theater Titanic, qui valsent sur le pont du célèbre paquebot en train de couler. Ou, mieux encore, les Slovènes, qui ont réinventé la Divine Comédie de Dante (Drama Sng Maribor) et dont on s'attendait que l'autre compagnie, Mladinsko, créât l'événement avec le Roberto Zucco de Koltès complètement relooké. «Faire du théâtre, organiser un tel festival, conclut l'un des acteurs de Marilyn, ce sont nos plages de liberté. Rappelez-vous qu'au Venezuela, depuis un an, nous vivons sous le régime de la suspension des garanties constitutionnelles.».